1-2 décembre

La chaleur et l’humidité nous écrasent dans une lenteur extrême. À 8h du matin, il fait déjà 28°C, et l’humidité est de 80%. La mer bleu saphir est si lisse qu’il est difficile d’imaginer comment des bateaux à voiles pouvaient transiter dans ces zones. Il n’y a pas un souffle de vent! Les myriades de poissons volants sont les seules perturbations sur cette mer d’huile. Nous dépassons le Cap-Vert. Ces latitudes nous offrent des couchers de soleil incroyables où les poussières du Sahara brunissent le ciel. Au large du Sénégal, l’heure est à la narration et les discussions prennent la forme de palabres qu’aucun arbre n’abrite.

Ciel complexe au large du Sierra Leone. (c)V.Sentilhes
Ciel complexe au large de la côte africaine. (c)V.Sentilhes

Les histoires racontées donnent un autre éclat aux algues sargasses que notre bateau ne cesse de croiser par bancs immenses ou revisitent l’histoire des bateaux négriers qui avaient pour point de départ l’île de Gorée ou les îles du Cap-Vert. Sous la chaleur étouffante de ces latitudes, et en absence totale de vent, ramer devait devenir crucial afin de rallier la terre selon le calendrier fixé par la quantité de provisions emportées. Les esclaves en provenance de l’Afrique de l’Ouest y étaient entassés pour un long voyage vers le Brésil et les Caraïbes. La question de l’eau, de la nourriture et les conditions de voyage dans lesquelles ces hommes et femmes ont traversé l’Atlantique un siècle plus tôt nous tourmentent. Nous regardons l’horizon d’un autre œil. Ces chemins d’une autre époque que nous croisons sont ici invisibles, mais font pourtant bien partie de notre histoire.

À mesure que le temps s’écoule en nous soutirant des gouttes de sueur, la discussion se réoriente vers l’observation des poissons volants et des calamars qui entourent notre bateau. Nous sommes fascinés d’observer comment l’évolution a doté ces poissons de la capacité à voler. Leurs longs vols peuvent les faire rester jusqu’à une trentaine de secondes hors de l’eau. Et pendant ce temps de plein air, leurs nageoires deviennent des ailes vertes scintillantes, leur silhouette prenant alors l’allure de celle de colibris. Les calamars, pour leur part, nous laissent songeurs quant à leur système nerveux décentralisé. Les biologistes marins nous ravissent d’anecdotes et nous apprennent que le phénomène est encore empreint de mystères. Le cerveau de ces créatures est réparti dans chacune de leurs cellules, ce qui explique pourquoi un tentacule, même tranché, continuera à bouger! L’information est ressentie par l’ensemble des cellules de leur corps. Nous sommes sublimés, et lors des arrêts pour les CTD, nous scrutons encore une fois la surface de l’eau pour observer ces fascinants petits animaux marins.

—————————–

Le 2 décembre

Les lectures continuent, et les scientifiques tels que Marieke Loffler et Nuria Nemarent Oltra présentent leurs études sur les aérosols dans l’Antarctique préindustriel. Roland Proud, quant à lui, offre son expertise en langage Python, qui représente ici un puissant outil pour la programmation, et non le serpent étrangleur…

Giuseppe Suaria, chercheur à l’Institut des Sciences marines du Conseil de Recherche Italien, présente son travail d’observation sur les plastiques dans les océans en complément de la présentation que Stéfano Aliani nous avait proposée dès notre deuxième jour à bord du bateau. Talentueux orateur, Giuseppe capte notre attention dès ses premières minutes de prise de parole, en nous projetant dans un lointain futur où les archéologues nous identifieront dans les couches des sols par la strate de plastique… Quelques faits marquants nous collent à la peau: 300 millions de tonnes de plastiques ont été produites dans l’année 2013 à elle seule. La majorité de cette production concerne la fabrication d’emballages jetables. J’ai la nausée, et pourtant le bateau ne bouge pas. Huit de ces 300 millions de tonnes de plastiques sont entrés dans l’océan. Dans un trait d’humour cynique seyant parfaitement à la situation, Giuseppe souligne que c’est l’équivalent de la pêche de thon de cette même année. Ce que nous avons prélevé en thon, nous le réinjectons en plastique. Ce sera le seul moment de la journée où notre sueur sera froide! Est-ce vraiment ça que nous voulons?

Giuseppe Suaria à la proue du bateau. Il mène une étude sur la présence de micro-plastiques dans l'océan.
Giuseppe Suaria à la proue du bateau. Il mène une étude sur la présence de micro-plastiques dans l’océan. (c)V.Sentilhes

Le plastique se dégrade, mais ne disparaît pas; ses traces et micro-traces sont relevées un peu partout et dans tous les organismes vivants, des oiseaux de l’Alaska au phytoplancton méditerranéen. Nous devons penser un système qui ne produit pas d’emballages plastiques, puis une fois ceci établi, commencer à nettoyer.

Le ciel se fera orageux en fin de journée et cinq petites trombes marines se forment en pleine mer. Sous les yeux ébahis de tous les passagers, nous observons leur corps se former et s’étirer péniblement jusqu’à l’eau. Aucun ne parviendra à s’intensifier. Le spectacle est magistral. C’est également le moment idéal, jugent Pascal Graf et Iris Thurnherr, pour lancer un de leurs ballons atmosphériques, toujours avec l’aide des étudiants.

Formation de petites tornades
Formation de petites tornades. (c)V.Sentilhes

 

Victorine Sentilhes,
journaliste embarquée avec l’ACE Maritime University.