3-4 décembre

Point de mire de notre voyage, le passage de l’équateur… Nous nous approchons de la symbolique latitude zéro. Le 3 décembre aux premières lueurs de l’aube, le second officier Vladimir Zimine vient voir les coordinateurs afin de préparer le rituel d’initiation. Pour les prochaines heures, nous serons concentrés sur les préparatifs des costumes, des certificats et la scénarisation de l’événement.

Ces rituels de passage des grandes lignes, que ce soit celles des pôles ou encore celle de l’équateur, semblent déchaîner à chaque fois les folies des équipages et si les rituels varient en fonction des cultures, leur existence est une constante. Les étudiants anticipent avec une légère pointe d’anxiété le bizutage qui leur sera infligé et commencent à faire remonter les histoires qu’ils ont entendues quant à ces rites initiatiques. On en entendra de toutes sortes, celles où les matelots doivent faire littéralement passer le bateau sous une ligne symbolisée par une corde, d’autres où les passagers se font arroser de vieilles nourritures, d’autres encore où il faut se mettre à genou et embrasser un vieux poisson sur les genoux de Neptune… Une tension fébrile est perceptible à bord. Il y a ceux qui sont dans la confidence et ceux qui ne le sont pas. Ceux qui le sont doivent ruser pour fabriquer à partir de sacs de pommes de terre, de papier aluminium, de vieilles fleurs en plastique, de bouteilles et de cartons extirpés de l’incinérateur, des costumes de démons et des costumes de sirènes…

img_5455
Vladimir Zimine, second lieutenant, rit en pensant à la surprise qu’il concocte aux passagers à l’occasion du passage de l’Equateur… (c)V.Sentilhes

 

Vladimir Zimine se transformé en Neptune, en grand secret, dans la salle de gym. (c)V.Sentilhes
Vladimir Zimine se transformé en Neptune, en grand secret, dans la salle de gym. (c)V.Sentilhes

 

Quelques cabines sont transformées en salon d’essayage, et les réunions secrètes se multiplient sous les yeux arrondis des autres. Vladimir se place en charge de la direction artistique de tous les éléments produits pour l’occasion, et il sait très exactement ce qu’il veut; son implication et le sérieux qu’il met à produire cette cérémonie nous touchent tous. Il nous fait réaliser l’importance de cette tradition et de ses règles établies de longue date. Ses éclats de rire enfantin et son enthousiasme nous accompagnent dans l’organisation alors que les matelots construisent sur la passerelle de décollage des hélicoptères un purgatoire et une petite piscine. Certains préparent la sélection musicale, d’autres mettent en forme les certificats arborant les sceaux de Neptune et du Capitaine sur fond d’une mappemonde russe. Puis vient le grand moment. Latitude zéro, longitude 012°22’O. Nous y sommes. Une alarme retentit et les pirates, joués par les matelots les plus costauds, s’élancent furieusement à travers l’Akademik Treshnikov.

 

 

Le désordre est total et le chaos démentiel. Les pirates hurlent sur les passagers, qui hurlent à leur tour et se ruent vers les issues de secours. Nous sommes tous menés devant Neptune, Seigneur des Mers et Océans, Roi des Tempêtes et des Ouragans, incarné par Vladimir évidemment qui, furieux, nous exposera à sa colère de ne pas lui avoir demandé l’autorisation de passer dans l’hémisphère sud. Il nous enverra dans un purgatoire en forme de tunnel, où des démons aux faces terrifiantes et aux cornes en goulot de bouteille rouges nous chahuteront. À la sortie, les démons nous attrapent pour nous faire passer dans une piscine d’eau salée, symbole de notre purification et de notre naissance en tant que marin. Notre bonne volonté prouvée, nous recevons l’estampe de Neptune qui nous permet d’accéder à notre diplôme, délivré par une troupe de superbes sirènes.

La douche d'eau de mer, un rituel en passant l'équateur. Etudiants, chercheurs, équipage: tout le monde y passe, unis en ce jour de célébration! (c)V.Sentilhes
La douche d’eau de mer, un rituel en passant l’équateur. Etudiants, chercheurs, équipage: tout le monde y passe, unis en ce jour de célébration! (c)V.Sentilhes

Nous sommes officiellement reconnus comme explorateurs des océans… Un verre d’eau de vie aux accents de clou de girofle achèvera le rituel. La fête se poursuit sur le pont sous les lances à eau qui finissent de nous nettoyer de nos péchés ou de nos spaghettis – selon les points de vue. Quel bonheur! L’équipage est ravi de l’organisation de la cérémonie; à partir de rien, nous avons réussi à mobiliser une trentaine de personnes et offert un spectacle mémorable à près de 127 personnes. Nous sommes tous unis dans cette cérémonie durant laquelle le capitaine s’est joint à nous, et où certains marins fêtaient également leur premier passage de l’équateur. Les amitiés que scelle ce genre d’expérience sont profondes. Et le discours de départ donné par Monsieur Paulsen, mécène de notre aventure, prend toute sa signification maintenant: «L’important pour vous dans ce voyage, c’est d’acquérir une expérience en mer et d’apprendre à vous connaître.» Nous honorons très certainement ces dernières paroles.

Couche de soleil au passage de l'équateur. (c)V.Sentilhes
Couche de soleil au passage de l’équateur. (c)V.Sentilhes

 

Victorine Sentilhes,
journaliste embarquée avec l’ACE Maritime University.