By Eric Hoesli, EPFL professor Par Eric Hoesli, professeur à l’EPFL
When he appears in the cafeteria – or the ‘buffet’, as the Russians call it – Lyuda, the woman in charge here, who’s not used to seeing him rub elbows with people from the expedition, greets him warmly, calling him “one of our best guys”. Coming from Lyuda, that’s quite a compliment.
Quand il surgit dans la cafeteria, le «buffet» comme disent les Russes, Liouda la maîtresse des lieux qui n’a pas l’habitude de le voir en compagnie des membres de l’expédition, l’accueille d’un chaleureux «celui-ci, c’est un de nos tout bons gars». Une référence, quand on connaît la gentillesse de Liouda.
Sergey is one of the men from the depths. The depths of the ship, that is. One of those guys you rarely see, only when they change shifts, hurtling down the stairwell and through the secret door – covered in warnings and ‘keep out’ signs – that leads to the ship’s bowels. Sergey spends a third of his life there, facing the wall of control room displays where every red light that blinks alarms this visitor. Not far away three electric engines rumble away, vibrating in a dry heat. They never stop running, even when the ship is standing still. The powerful metal axles and propellers crank away at full blast. This is the ship’s belly, the source of its power, the furnace, Vulcan’s realm – and it’s where Sergey works. He runs his hand along one of the machine frames as if caressing a family heirloom. Despite what one might expect, there’s not a trace of grease, oil or sweat here. Spotless, like Sergey’s overalls, which still show the creases from being ironed.
Serguei est un des hommes des profondeurs. Des profondeurs du navire, s’entend. De ceux que l’on ne croise que rarement, quand ils vont prendre la relève et dévalent la cage d’escalier pour passer ensuite la porte secrète bardée d’avertissements et de signes d’interdiction qui donne accès aux tréfonds du Treshnikov. Serguei y passe un tiers de sa vie, devant le mur des écrans de contrôle où chaque lumière rouge qui s’allume suscite l’inquiétude du visiteur. A côté, le grondement des trois moteurs électriques vibrant dans une chaleur sèche et qui jamais ne s’arrêtent, même quand le navire se tient immobile. Les axes métalliques puissants, les hélices tournant à pleine puissance. C’est le ventre du navire, la source de son énergie, le lieu du feu, on est chez Vulcain et Serguei y a ses quartiers. Il passe la main délicatement sur un des blocs machines comme on effleurerait un meuble de famille. Pas trace ici de graisse, d’huile ou de suie comme on aurait pu s’y attendre. Tout est nickel, comme le bleu de travail de Serguei dont on distingue encore les plis du repassage.
This is his first trip to Antarctica. But from down here, where he powers the ship with his mates, you can’t see much. The ice giants that the Treshnikov glides past, gorgeous skies, the spray from the whales at the water’s surface – that’s not for these guys. Every now and then, like when the ship runs up against the ice pack, they need to make sure the engines are operating at full throttle. Any regrets? None at all, he says. Between shifts, laundry, meals and the gym – his existence for ten months – he does get a little free time and can experience some of the wonder. The visit to the foot of the Antarctic ice cliffs, for example. And the ports of call. Bremerhaven, so clean, so organized, so efficient, really left an impression on him. More so than Southampton, “where it’s a bit of a mess, like back home.” But this life, filled with routine, repetition and the faces of his mates – with whom he eats, talks and spends his evenings – doesn’t bother him. That’s how it is, “the mechanics usually stick together,” and he’s fine with that. “Some of the guys on board are real professionals,” he adds. He became a sailor by chance – he just missed out on a spot in a technical school and wasn’t thrilled about making furniture in the suburbs. Here, he feels like he’s constantly learning. And he’s ready to re-enlist. “I’ll be able to learn about heating and procurement.” He wants to learn more. And travel – before this he had only ever been to Moscow and Sochi.
C’est sa première mission en Antarctique. Mais de la soute où, avec ses camarades, il donne sa force au navire, on n’en voit pas grand-chose. Les géants de glace que le Treshnikov dépasse, les ciels somptueux, le souffle des baleines qui jaillit à la surface, ce n’est pas pour les gars de la soute. La banquise, le pack que le brise-glace affronte de temps à autre, n’est que l’un de ces moments de vigilance particulière où il faut s’assurer que rien n’entrave la puissance des moteurs. Des regrets? Pas le moindre, avoue-t-il. Entre deux relèves, les lessives, les repas et la salle de sport qui composent son univers pour une dizaine de mois il y a quand même les moments de liberté et d’émerveillement. La halte au pied des falaises de glace de l’Antarctique par exemple. Ou les escales. Bremerhaven, si nette, si organisée, si efficace l’a beaucoup frappé. Davantage que Southampton, «où c’est un peu le bordel comme chez nous». Mais cette vie faite de régularité, de répétition, de visages de collègues qui sont à la fois voisins de table, confidents et compagnons de soirée, ne lui pèse pas. C’est comme ça, «les mécanos restent le plus souvent entre eux», et cela lui convient bien. «On a des gars professionnellement exceptionnels à bord, ajoute-t-il. Lui qui est venu à la marine par pur hasard, alors qu’il venait de manquer une place dans une école technique et s’embêtait un peu à fabriquer des meubles en banlieue, il a l’impression d’apprendre sans cesse. Il est prêt, d’ailleurs à rempiler. «Je vais pouvoir me mettre au chauffage et à l’approvisionnement». Apprendre encore. Et voyager, lui qui n’avait vu jusque là que Moscou et Sotchi.
One of the old Russian hands on board called him “a real Leningrader”. This means he’s a down-to-earth kind of guy – something that ‘Saint-Petersburger’ just doesn’t convey. Sergey is indeed from Saint Petersburg, like most of the Treshnikov’s crew. Third generation, he adds. In the crush and turmoil of Russian history, that’s close to nobility. The first thing he said when he introduced himself was: “My grandmother met my grandfather in Leningrad.” Like the start of a fairy tale or love story. Interestingly, he mentioned his grandmother first, and didn’t use the word ‘I’ once when describing where he came from. That’s a real man for you. And when you add in his clear gaze as he looks you in the eye, you tell yourself that Lyuda hit the nail right on the head.
Un des vétérans russes du bord avait dit de lui : «Un vrai Léningradois». Cela voulait dire un rude chic type, et sans doute que «Pétersbourgeois» n’était pas suffisant dans la gamme des compliments. En effet, Serguei est de Pétersbourg comme l’immense majorité de l’équipage du Treshnikov. Troisième génération, précise-t-il. Dans une Russie dont l’histoire n’est que bousculade et tourment, c’est presque un titre de noblesse. D’ailleurs, sa toute première phase pour se présenter a été «C’est à Leningrad que ma grand-mère a rencontré mon grand-père». Comme le début d’un conte ou d’une histoire d’amour. Notez bien: la grand-mère en tête de phrase, et pas de première personne du singulier quand il s’agit de se définir. Rien que ça, ça vous pose un homme. Et quand vous y ajoutez ce regard clair qui vous fixe droit dans les yeux, vous vous dites que Liouda ne manque pas de flair.