Après avoir passé quelques jours sur le navire à quai, le moment de larguer les amarres est arrivé. A 22h00, la passerelle est remontée et fixée sur le bord du bastingage. La sirène tonne le départ, et l’Akademik Treshnikov est tiré par un bateau pilote vers le large. Avant de passer en pleine mer, il lui faut se frayer un chemin entre les digues de béton dressées en forme de tout petit goulot du port de Bremerhaven, Allemagne. Le Capitaine Tobias Leiss, attaché au port de Bremerhaven, prend les commandes des machines, le temps d’extraire ce monstre d’acier de son immobilité la plus profonde. Du haut de la timonerie, nous assistons à la manœuvre extrêmement délicate où une équipe expérimentée se tient informée à la seconde des changements de cap. Pour une heure, nous serons au cœur du royaume du talkie-walkie, les ordres, les transmissions d’ordre, les traductions d’ordre et les confirmations de réception fusent. Nous savons que, dès que nous passerons cette écluse, nous entamerons un voyage de 25 jours, mais surtout qu’à court terme nous nous dirigeons droit vers la tempête Angus. Les consignes ont été données plus tôt, tout le matériel a été sanglé, toutes les cabines sécurisées et les personnes sensibles au mal de mer ont été invitées à commencer leur médication quelques heures avant le départ. Les discussions vont bon train à bord, et ce en russe, en français, en anglais, on parle de comprimés, de patch. Certains vantent les mérites des chewing-gums allemands, d’autre ceux des bracelets d’acupression, tandis que d’autres ne jurent que par les bonbons au gingembre. Il devient petit-à-petit crucial de savoir où les obtenir!
Des creux de 5 mètres
Dans la timonerie, on ne semble pas s’inquiéter tant que ça, et les bulletins météo annonçant des rafales de 9 sur l’échelle de Beaufort, soit des vents proches des 130 km\heure, ne crée aucun vent de panique. Après tout, nous sommes sur un brise-glace de 134 m de long, en pleine force de la jeunesse. En effet, il ne compte que sept années à son actif. Le capitaine Dimitri Karpenkov en a certainement vu d’autres aux confins de l’Antarctique et la tempête Angus ne retardera pas l’itinéraire bien chargé de notre expédition. Le bateau pilote nous tire à la sortie du port et nous démarrons notre route en longeant la côte jusqu’à la perdre de vue. Puis, plus tard dans la nuit noire, nous sentirons du fin fond de nos cabines la dureté des vagues, mais surtout les creux qui se forment entre elles, des creux de 4 à 5 m qui, même sur un gros bateau tel que l’Akademik Treshnikov, se font ressentir comme une série de petites chutes libres. Les ponts ont été fermés et nous avons la consigne ferme de rester allongés. Ceux qui luttent avec les contradictions de perceptions dans le système nerveux sont mal en point, les autres dorment profondément.
La nuit se passe. Le matin, la tempête se maintient. Elle se calmera dans le début d’après-midi. La matinée laissera tout le monde quelque peu endormi. Globalement, tout le monde semble bien résister à une grosse mer. Une fois sorti de la tempête, le bateau trace une ligne droite en direction de Southampton, où nous devrons charger trois hélicoptères. Cet arrêt sera également une occasion d’installer un nouveau système internet, puisque celui en place actuellement ne permet pas de connecter plus de deux personnes à la fois. Les emails entrent et sortent mais ne parlons pas de photo ni de vidéo. Nous sommes déjà loin du monde ultra connecté que nous connaissons et pourtant nous voyons encore la côte!
Victorine Sentilhes,
journaliste embarquée avec l’ACE Maritime University.
Dessin de Noé Sardet.